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Interview pour le Dit de Cythèle tome 2 et 3 17/03/2011

Les Larmes du démon et la Citadelle du titan sont les deuxièmes et troisièmes tomes du cycle de fantasy le Dit de Cythèle, dont l'univers a été créé par l'auteur pour ses propres parties de jeu de rôle. Pour vous donner envie de vous plonger dans le monde de Nicolas Cluzeau, voici une interview peaufinée par notre responsable roman.

Interview Nicolas Cluzeau

"je continue toujours de jouer de toute manière, car c’est quelque chose qui n’a pas de fin" - Les Larmes du démon

BBE : Tu as dit avoir écrit La Ronde des vies éternelles dans une période très sombre de ta vie, ce qui avait influencé la tonalité de ce premier tome. Est-ce toujours le cas ? À quelles évolutions peut-on s’attendre dans ton style et dans l’atmosphère pour ce second tome ?

Nicolas Cluzeau : Il est vrai que La Ronde a marqué un tournant dans ma vie, et aussi dans ma carrière littéraire. Une sorte de pierre blanche. Ou noire, pour rester dans le ton. Mais il fallait ensuite aller de l’avant. Ne pas m’appesantir sur un ouvrage né de mes démons et de mes angoisses. Pour Les Larmes du Démon, j’ai commencé une vaste entreprise de reconstruction de ce que j’avais détruit dans le premier tome. Cependant, cette reconstruction a aussi un prix, comme l’on verra. Donc le livre a plus une ambiance positive malgré les morts, les massacres et les tueries. Quant au style, il reste toujours soutenu et riche, mais moins que pour La Ronde. Un peu plus d’humour, aussi, peut-être. J’avais besoin de rire un peu après l’immense coup de dépression noire de La Ronde.

BBE : Qu’est-ce qui t’a donné envie de te diriger vers cet univers démoniaque assez atypique, au lieu d’un autre nombreux plan de ton multivers ?

NC : En fait, c’était un plan démoniaque que j’avais déjà développé dans le cadre d’une novella qui n’a jamais été publiée. Je voulais développer un peu l’aspect non fini du Multivers, aussi. Comme beaucoup de Strates inférieures, DesrelWhurd a été un des essais manqués de plusieurs démiurges, et a été laissée à l’abandon. Je voulais montrer qui étaient ces princes-démons et leur clique, pas des princes d’un enfer comme nous le montrent les diverses religions de notre monde, mais simplement des plans qui n’ont pas eu le bonheur d’être développés jusqu’au bout, ou qui ont été abandonnés, mais où la vie, aussi différente soit-elle, avec toutes ses anomalies et ses aberrations, a pu grandir et obéir à différentes lois.

BBE : Dans ce tome, tu mêles infiltration, humour et polar. Est-ce une volonté consciente pour dépasser La Ronde des vies éternelles, pour ne pas enfermer ce cycle dans un ou quelques genres, ou alors une continuité logique, qui t’a paru évidente ?

NC : C’est pour moi une évidence, en fait. Je ne planifie pas vraiment le ton et le genre que je veux donner à un récit, un roman, une nouvelle. Je le sens, ou je ne le sens pas couler de mon imagination. Structuré, toujours, mais aussi dans une grande marmite où je mélange tout ce qui m’est cher : le dépaysement total, les mystères, les scènes d’action et de grand spectacle (comme diraient mes joueurs de jeu de rôle : « Nicolas, tu as encore mis un sacré paquet de fric dans les effets spéciaux » hé hé). Pour en revenir à ta question, je suis pour la fusion des étiquettes en une seule, et j’écris ce que j’aimerais lire, essentiellement, parce que ça me plaît d’imaginer des histoires intenses imprégnées d’énigmes et de drames éminemment humains – même à travers des personnalités ou personnages non humains.

BBE : Comment as-tu pensé la structure politique et sociale de ce monde démoniaque ? Est-ce qu’il s’agissait pour toi de t’inspirer de schémas existants pour critiquer, refléter ou pousser à son paroxysme un modèle existant, ou au contraire as-tu cherché à expérimenter quelque chose de plus atypique, d’original, en essayant de te détacher au maximum des systèmes connus ?

NC : A mon arrivée en Turquie, je me suis imprégné de son histoire récente et de son histoire ancienne, des coups d’état divers qui ont eu lieu au vingtième siècle. Le coup d’état qui a lieu sur la Strate inférieure de DesrelWhurd peut avoir été inspirée de cette connaissance récemment acquise, je l’avoue sans honte. De là, je me suis efforcé de m’éloigner du modèle pour arriver à la critique d’une société où le paraître écrase l’être, ou des aberrations sociales se créent à partir de la collaboration de certains à un système de valeurs inutiles, qui vit par l’oppression d’une frange de sa population, population qui accepte d’autant plus son destin pour la chance de pouvoir y réchapper par une ignoble loterie.

BBE : Un cliché bien connu réduit les littératures de l’imaginaire à des genres d’évasion, qui « fuient » le réel. Qu’en penses-tu ?

NC : Je méprise les étiquettes qu’on met sur les genres. La littérature est, ou n’est pas, quel que soit le thème abordé. En effet, les lecteurs ont l’impression de fuir le réel, mais en fait un auteur, comme il m’est déjà arrivé de le dire, puise toute son inspiration dans une imagination nourrie d’autres auteurs, de la mythologie, des légendes, des événements de sa vie, et surtout du monde qui l’entoure. Vouloir dire qu’on s’évade, je le croyais moi aussi, je l’ai cru longtemps, mais nous ne faisons que nous évader au cœur de nous-mêmes, dans notre psyché, pour la creuser, pour la comprendre, car que nous soyons lecteurs ou écrivains, nous essayons avant tout de nous comprendre nous-mêmes. Les années jeu de rôle – et je continue toujours de jouer de toute manière, car c’est quelque chose qui n’a pas de fin – m’ont permis de me découvrir une identité, une personnalité que je dissimulais dans les replis d’une carapace engendrée par l’enfance, l’adolescence, les problèmes familiaux. Donc, pour moi, la réponse est négative : on ne fuit pas le réel, on s’y enfonce plus encore pour trouver une réponse à ses attentes quotidiennes.

BBE : As-tu déjà pensé que notre monde réel était une strate de ton multivers, et si oui, à le prendre comme cadre d’un roman ou d’une nouvelle ? Lequel de tes personnages pourrait-on voir débarquer ?

NC : En fait, je ne l’ai jamais pensé : j’en suis sûr. Car je l’ai écrit dans mon tout premier roman, Embûches. J’y décris l’arrivée des « Nordhommois » sur Thorion Weir comme des exilés de la « Terre des Origines » après une grande catastrophe. Il s’agit bien sûr de notre monde quelques milliers d’années plus tôt, même si je n’ai pas décidé d’une période quelconque pour faire un parallèle avec les trois mondes de la Trinité titanique. La plupart de mes nouvelles se déroulant sur notre Terre à nous sont imprégnées de divers éléments que j’ai déjà utilisés dans mes romans et nouvelles au sein de Thorion Weir. Il suffit de les déceler. Quant à faire débarquer un personnage sur Terre, je n’ai pas d’idées particulières, ni d’envie en ce moment. Peut-être plus tard.

"J’avais juste des envies personnelles de combats épiques" - La Citadelle du titan

BBE :

Pourquoi avoir choisi le cadre glacé des mythes nordiques, plus courant en fantasy que le monde démoniaque du précédent tome, par exemple ?

NC : Tout simplement parce que c’est un des aspects culturels de notre monde, avec les mythologies grecques et, dans une moindre mesure, celtiques, avec lequel je me sentais le plus à l’aise. Je m’y sens toujours à l’aise, mais j’y ai aussi ajouté quelques mythologies supplémentaires depuis, comme la mythologie d’Asie centrale. Il est vrai que l’ambiance se prêtait aussi au vent de la légende, à ce souffle épique qui m’a porté sur ces terres. Et après un monde de feu, un monde de glace et l’Asgard éternelle me semblaient appropriés pour faire la transition.

BBE : Les combats épiques prennent ici de nouvelles dimensions. Est-ce une manière de préparer la fin du cycle ou de se « lâcher » après les tensions et le suspense dus à l’aspect « infiltration et espionnage » du deuxième tome ?

NC : Non, rien de tout cela. J’avais juste des envies personnelles de combats épiques impliquant des navires aériens et des dragons à cette époque. Aussi, je les ai mises en scène dans le cadre de l’intrigue qui, même si elle est assez linéaire, implique là aussi plusieurs groupes de personnages différents dont le destin est d’entrer en collision à un moment ou à un autre. Le décor nordique s’y prêtait, ainsi que l’arrivée de nouveaux personnages, et le départ d’autres.

BBE : Dans ce tome, le point de vue des opposants à Cythèle (le groupe d’Euronémès, les armées de Gunnar) est bien davantage mis en valeur que dans les précédents. Pourquoi ce changement ?

NC : Je voulais juste montrer un autre groupe de personnages qui ne s’embarrassent pas de scrupules, mais dont les desseins, finalement, sont beaucoup moins meurtriers que Cythèle. Le contraste est saisissant, d’ailleurs, dans les buts de chacun des groupes. Finalement, Euronémès, Turiya et Barhan ne font qu’accompagner, dans un premier temps, un libérateur venu mettre à bas un tyran, alors que les actions de Cythèle et de ses compagnons vont aller, pratiquement avec leur aval, à l’encontre de cette révolution, dans un état d’esprit plus conservateur – cependant, avaient-ils le choix, c’est la question que l’on peut se poser. C’est là un paradoxe que j’adore mettre en scène. Le groupe de héros qui commet finalement un acte conformiste, et le groupe de criminels qui s’associent par intérêt, mais tout de même, aux héros d’une révolution justifiée.

BBE : Est-ce que l’existence de personnages comme Ambre, Triliock ou Merraz précède et inspire l’écriture, ou les crées-tu spécifiquement pour les besoins d’une narration particulière ?

NC : Ils précèdent l’écriture. Je crée toujours, comme pour le jeu de rôle, les personnages qui vont intervenir dans un récit ou un roman bien avant de me lancer dans l’écriture. Je détaille leur parcours, ce qu’ils vont faire, quelle est leur personnalité, et ensuite le récit doit s’articuler autour d’eux et de leurs actions/réactions, et non le contraire. Souvent, comme d’habitude, ils ont tendance à vouloir vivre tout seul et à échapper à mon contrôle. En général, je sais comment finit une histoire et j’ai un plan de trame plus ou moins détaillé, mais l’intervention de personnages et leurs personnalités sont souvent source de changement qu’il me faut gérer de manière plus ou moins drastique.

BBE : Comment choisis-tu les personnages qui vont rejoindre ou quitter l’histoire ? Est-ce défini à l’avance, avant même d’avoir entamé l’écriture ?

NC : Je pourrais te renvoyer à ma réponse précédente. Je ne dirai pas qui rejoint et qui quitte l’histoire ici, car ce serait dévoiler certaines parties de l’intrigue et de la suite qui va avoir lieu dans Le Souffle du dragon. Cependant, je dirai ceci : je n’ai pas un choix exactement prédéfini. Je m’adapte à la personnalité de celui ou celle qui vit dans le récit. S’il semble logique qu’il y ait un départ, alors je le mets en scène et explique les raisons dans un dialogue. Vers la fin de l’écriture de La Citadelle du titan, je savais qui allait continuer à suivre Cythèle, et qui allait partir. Mais avant, j’étais encore dans l’expectative, et c’est bien, j’adore me surprendre moi-même. Ce doit être ça, le côté schizophrénique de l’auteur qui lui procure un immense plaisir.

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